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Page:Daudet - Souvenirs d’un homme de lettres, 1889.djvu/96

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allaient dans la banlieue, errant à travers prés avec des parapluies et des chapeaux de soie, noirs de la tête aux pieds comme des huissiers de campagne. Une fois dehors, tous ces Parisiens se regardaient en riant, respiraient, gambadaient, faisaient la nique à Paris ; mais la nostalgie de l’asphalte les prenait bien vite, et cette émigration, qui commençait en école buissonnière, devenait lourde et triste comme de l’exil.

Tout préoccupé de ces idées d’évasion, je suivais un matin la rue de Rivoli sous une pluie battante, quand je fus arrêté par une figure de connaissance. À cette heure-là, il n’y avait guère dans la rue que des balayeuses qui rangeaient la boue par petits tas luisants le long des trottoirs, et des files de tombereaux que des boueux remplissaient au fur et à mesure… Horreur ! c’est sous la blouse crottée d’un de ces hommes que je reconnus mon cocodès, et bien déguisé !… un feutre tout déformé, un foulard en corde autour du cou, le large pantalon que les ouvriers de Paris appellent (pardon) une salopette ; tout cela mouillé,