Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/145

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

élytres ; il jouait, évidemment, le malheureux, tapait à tour de bras, soufflait de toutes ses forces ; mais, dans la salle, aucun bruit perceptible n’arrivait. C’était trop loin, tout était mangé par la scène. Tel un grillon de boulanger chanterait sa sérénade au beau milieu du Champ de Mars ! Et pas moyen de faire compter les trous à cette distance, pas moyen de dire : « Ce m’est vénu… » ni de parler de l’oiseau du bon Dieu !

J’étais rouge de honte ; je voyais autour de moi des gens ahuris, j’entendais murmurer : « Qu’est-ce que c’est que cette mauvaise plaisanterie ? » Les portes des loges claquaient, la salle se vidait peu à peu ; cependant, comme c’était un public poli, on ne siffla point, et on laissa le tambourinaire achever son air dans la solitude.

Je l’attendais à la sortie pour le consoler. Ah bien ouiche ! Il croyait avoir obtenu un succès énorme, il était plus radieux que jamais. « Z’attends Colonne pour signer », fit-il en me montrant un gros papier maculé de timbres. Cette fois, par exemple, je n’y pus tenir ; je pris à deux mains mon cou-