Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/148

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« Ils m’ont mis en troubadour de l’ancien temps, » me disait-il avec un gracieux sourire, « mais, comme je suis très bien fait, ça ne me va pas mal, vous verrez ! » Je vis en effet.

Dans un de ces cafés chantants des alentours de la porte Saint–Denis, si fort en vogue aux dernières années de l’Empire, — avec le clinquant de son ornementation baroque moitié chinoise, moitié persane, dont les peinturlures et les ors étaient rendus plus cruels à l’œil par l’exagération des becs de gaz et des girandoles, ses loges d’avant-scène grillées et fermées où venaient se cacher certains soirs, pour applaudir les tours de reins et les coups de gueule de quelque excentrique diva, des duchesses et des ambassadrices, sa mer de têtes et de bocks nivelée, comme les flots en temps de brouillard, par la fumée des pipes et la vapeur des haleines, ses garçons qui courent, ses consommateurs qui crient, son chef d’orchestre, cravaté de blanc, impassible et digne, soulevant ou calmant d’un geste à la Neptune la tempête de cinquante cuivres ;