Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/16

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mais pourquoi m’en serais-je inquiété ? j’étais si riche d’espérances ! J’en oubliais d’avoir faim ; malgré les séductions de la pâtisserie et des sandwichs qui s’étalaient aux buffets des gares, je ne voulais pas lâcher ma pièce blanche soigneusement cachée dans une de mes poches. Vers la fin du voyage pourtant, quand notre train, en geignant et nous ballottant d’un côté à l’autre, nous emportait à travers les tristes plaines de la Champagne, je fus bien près de me trouver mal. Mes compagnons de route, des matelots qui passaient leur temps à chanter, me tendirent une gourde. Les braves gens ! Qu’elles étaient belles, leurs rudes chansons, — et bonne, leur eau-de-vie rèche, pour quelqu’un qui n’avait pas mangé pendant deux fois vingt-quatre heures !

Cela me sauvait et me ranimait, la lassitude me disposait au sommeil ; je m’assoupis, — mais avec des réveils périodiques aux arrêts du train et des rechutes de somnolences lorsqu’on se remettait en marche…

Un bruit de roues qui sonne sur des