Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/178

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pauvre tête inquiète et voyageuse des souvenirs de courses en mer, de haltes dans des phares, des îles lointaines ; et la houle frémissante tout autour complétait cette illusion. Je ne sais d’où m’est venu ce goût de désert et de sauvagerie, en moi depuis l’enfance, et qui semble aller si peu à l’exubérance de ma nature, à moins qu’il ne soit en même temps le besoin physique de réparer dans un jeûne de paroles, dans une abstinence de cris et de gestes, l’effroyable dépense que fait le méridional de tout son être. En tous cas, je dois beaucoup à ces retraites spirituelles ; et nulle ne me fut plus salutaire que ce vieux moulin de Provence. J’eus même un moment l’envie de l’acheter ; et l’on pourrait trouver chez le notaire de Fontvieille un acte de vente resté à l’état de projet, mais dont je me suis servi pour faire l’avant-propos de mon livre.

Mon moulin ne m’appartint jamais. Ce qui ne m’empêchait pas d’y passer de longues journées de rêves, de souvenirs, jusqu’à l’heure où le soleil hivernal descendait entre les petites collines rases dont il remplissait