Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/214

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luisant dans l’ombre, ce nez sec et droit, cette bouche amère, enfin toute cette face allongée par une barbiche en pointe de toupie et qui fait songer invinciblement à un don Quichotte sceptique ou à un Méphistophélès qui serait doux. Très maigre, il portait un diable d’habit noir trop serré et avait l’habitude de tenir toujours les deux mains fourrées dans les poches de son pantalon. Déplorable habitude qui le faisait paraître plus maigre encore qu’il n’était, accentuant terriblement l’anguleux des coudes et l’étroitesse des épaules. Il était généreux et bon camarade, capable des plus grands dévouements et, sous une apparence de froideur, nerveux et facilement irritable. Il eut un jour, à la suite de je ne sais plus quel article, une affaire avec le directeur du journal le Gaulois. Le Gaulois d’alors (car le titre d’un journal en France a plus d’incarnations que Bouddha et passe dans plus de mains que la fiancée du roi de Garbe), le Gaulois d’alors était une de ces éphémères feuilles de chou comme il en pousse entre les pavés aux alentours des cafés de théâtres