Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/216

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

bout de dix minutes d’escrime, Rochefort en eût remontré, pour la grâce, au plus moustachu la Ramée. Les deux champions se rencontrèrent le lendemain, entre Paris et Versailles, dans ces délicieux bois de Chaville que nous connaissions bien, y allant souvent le dimanche, pour des passe-temps moins guerriers. Il tombait ce jour-là une petite pluie fine et froide qui faisait des bulles sur l’étang et voilait d’un léger brouillard le cirque vert des collines, la pente d’un champ labouré et les rouges éboulements d’une sablonnière. Les combattants mirent chemise bas, malgré la pluie, et, sans la gravité de la circonstance, on eût été tenté de rire en voyant face à face ce petit homme, gras et blanc, sous un gilet de flanelle liséré de bleu à l’entournure des manches, tombant en garde correctement comme sur la planche, et Rochefort, long, sec, jaune, macabre et cuirassé d’os au point de faire douter qu’il y eût sur lui place pour une piqûre d’épée. Malheureusement, il avait dans la nuit oublié toutes les belles leçons du sergent-major,