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Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/276

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Cherchons autre chose. » Mais il voulait lutter encore, craignant d’affliger sa mère, blessé dans son orgueil d’homme. Et moi je n’osais insister, ne croyant pas son mal aussi profond, et redoutant par-dessus tout de faire un déclassé, un raté, de ce pauvre mécanicien à nom de romance.

Du temps se passe. Un jour je reçois une petite lettre tremblée et navrante : « Malade, à la Charité, salle Saint-Jean de Dieu. » C’est là que je le retrouvai, couché sur un brancard parce que l’hiver qui finissait ayant été très rude, il n’y avait plus un lit disponible dans cette salle réservée aux phtisiques. Au premier vide que la mort allait faire, Raoul aurait le sien. Il me parut très atteint, les yeux creux, la voix rauque, surtout l’imagination frappée des tristesses qui l’entouraient, ces plaintes, ces toux déchirantes, la prière de la sœur, au jour tombant, et l’aumônier, en pantoufles rouges, assistant les agonies désespérées. Il avait peur de mourir là. Je m’efforçai de le rassurer, tout en m’étonnant que sa mère ne l’eût pas fait soigner chez elle. « C’est moi qui n’ai pas