Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/335

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n’avait la fortune de lui plaire, à ce terrible public.

Flaubert subissait la mélancolie des succès passés, savourés jusqu’à la lie, jusqu’aux reproches de la critique et de la foule vous rejetant toujours à votre premier livre, faisant de Madame Bovary un obstacle glorieux à Salammbô, à l’Éducation sentimentale. Goncourt semblait las, écœuré d’un grand effort dont profiterait toute une nouvelle génération de romanciers et qui le laisserait, du moins le pensait-il, lui, l’instigateur, presque inconnu. Brusquement je me trouvai le seul de tous qui sentît venir à lui la vogue à plusieurs mille d’exemplaires, et j’en étais gêné, presque honteux, vis-à-vis d’écrivains de cette valeur. Chaque dimanche, quand j’arrivais, on m’interrogeait : « Et les éditions ?… À combien en êtes-vous ? » Chaque fois, il fallait avouer de nouveaux tirages ; vraiment je ne savais plus où me mettre, moi et mon succès. « Nous ne nous vendrons jamais, nous autres, » disait Zola sans envie, mais avec un peu de tristesse.

Il y a douze ans de cela. Aujourd’hui ses