Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/346

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ses amis leurs goûts d’art : la musique à la femme, la peinture au mari.

Il était couché sur un sofa.

Je m’assis près de lui. Et tout de suite on reprit la conversation de l’autre jour.

Il avait été frappé de mes observations et promit d’apporter au prochain dimanche de Flaubert une nouvelle que l’on traduirait sous ses yeux. Puis il me parla d’un livre qu’il voulait faire, les Terres vierges, une sombre peinture des couches nouvelles qui grouillent dans les profondeurs de la Russie, l’histoire de ces pauvres « simplifiés » qu’un malentendu navrant pousse dans les bras du peuple. Le peuple ne les comprend pas, les raille et les repousse. Et tandis qu’il me parlait, je songeais qu’en effet la Russie est bien une terre vierge, une terre molle encore, où le moindre pas marque sa trace, une terre où tout est neuf, à faire, à explorer. Chez nous, au contraire, il n’y a plus une allée déserte, un sentier que la foule n’ait piétiné ; et, pour ne parler que du roman, l’ombre de Balzac est au bout de toutes ses avenues.