Page:Daudet - Trente ans de Paris, Flammarion, 1889.djvu/83

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coucher hâtif de leur discordantes clameurs.

Sitôt fini le brouillon de mon livre, je commençai tout de suite la seconde copie, la partie douloureuse du travail, contraire surtout à ma nature d’improvisateur, de trouvère ; et je m’y acharnais de tout mon courage, quand un matin la voix de la baїlesse me héla violemment dans le patois local : Moussu, moussu, vaqui un homo… « Monsieur, monsieur, voilà un homme !… »

L’homme, c’était un Parisien, un journaliste appelé à quelque concours régional des environs et qui, me sachant par là, venait chercher de mes nouvelles. Il déjeune, on cause journaux, théâtres, boulevards ; la fièvre de Paris me gagne, et, le soir, je partais avec mon intrus.

Ce brusque arrêt au milieu du travail, cet abandon de l’œuvre en pleine fonte, donne une idée exacte de ce qu’était ma vie de ce temps-là, ouverte à tout vent, n’ayant que des élans courts, des velléités au lieu de volontés, ne suivant jamais que son caprice et l’aveugle frénésie d’une jeunesse qui menaçait de ne point finir. Rentré