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— Mais somme toute, dis-je au professeur Mumu, ces Scients que vous m’avez montrés sont fort peu différents de ce que dans notre langue nous appelons des savants.

Il me regarda d’un œil apitoyé et me répondit fort pertinemment :

— Jeune homme, c’est tout le contraire et vous vous fiez trop aux apparences. Le savant fait œuvre utile. De toutes ses hypothèses que l’expérience a vérifiées, il ne conserve que celles qui peuvent servir à son bien et à celui des autres. Le scient, au contraire, cherche la vérité pure, comme il dit, c’est-à-dire celle qui n’a pas besoin d’être vécue. Peu lui importe, s’il a fait une découverte, qu’on l’applique à la fabrication de gaz asphyxiants ou à la guérison d’une maladie, à la diffusion des poisons intellectuels ou à l’éducation des enfants. C’est une première différence. En voici une deuxième. Le savant ne croit qu’à ce qu’il a expérimenté et n’affirme que ce qu’il est capable de faire expérimenter à autrui. Le scient, lui, n’applique la méthode expérimentale qu’aux objets matériels exclusivement. Quelques scients prétendent bien étudier expérimentalement la pensée ; mais comme ils ne savent expérimenter qu’avec la règle et la balance, ils tiennent tout au plus entre leurs instruments les déchets et les traces matérielles de la pensée : paroles, gestes, objets fabriqués, remuements des entrailles. Ce qu’ils appellent pensée, c’est l’image d’un front plissé et