Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/108

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d’un sourcil crispé ; volonté, c’est une mâchoire serrée et un coup de poing sur la table ; émotion, un certain désordre des mouvements du cœur et des poumons. Troisièmement, le vrai savant subordonne toujours le savoir à la connaissance et il maintient que le premier objet à connaître est le plus proche, le plus accessible sous toutes ses faces et le plus constamment présent ; le scient, à l’opposé, part de l’objet le plus éloigné, atome ou étoile, nombre ou figure abstraite, et ne franchit jamais la limite qui sépare autrui de lui-même. Bien plus, le scient s’éclipse autant qu’il peut, et fièrement, au profit du lointain. Il accuse d’orgueil le savant, lui reprochant de se tenir pour le centre de tout. Il croit d’une foi aveugle et il fait enseigner aux petits enfants dans les écoles que chaque homme est un petit tas de colloïdes emporté par un globe pâteux dans un tourbillon dont le centre lui-même virevolte autour d’un point imaginaire et mobile, dans les immensités courbes d’un espace relatif. Le Scient est d’autant plus content qu’il se décentre et décentre les autres davantage.

« Autrement dit, le savant mesure toutes choses à l’étalon fixe qu’il porte en lui, tandis que le scient mesure les choses les unes par les autres ; c’est d’ailleurs parce que les choses ne se mesurent pas entre elles qu’il est obligé, pour leur trouver une commune mesure, de les découper, de les scier en fragments infinitésimaux, d’où son nom.

« Vous voyez comme vous étiez loin du compte.