Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/110

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des quantités industrielles. Vous avez deviné, je suppose, à quel liquide banal je fais allusion.

Je me disais : « Veut-il dire le vin ? Mais si c’est cela, alors il n’est pas malade ! Pourtant je ne l’ai pas encore vu boire et, somme toute, mieux vaut être prudent ; quitte à passer pour un imbécile, ne prononçons pas un mot aussi dangereux. » Je pris donc un air interrogatif et le Professeur me dit avec une pitié triomphale :

— L’eau bénite, jeune homme ; l’eau bénite ! Elle se fabrique aujourd’hui par foudres dans des laboratoires que je vous ferai visiter, si vous le voulez, dans un instant. L’eau bénite en injections intraveineuses guérit en quelques semaines le scient le plus contaminé. Elle réconcilie la science et la foi. Voici comment marche la cure dans les cas les plus favorables : dès la première inoculation, le scient admet la réalité des miracles de Lourdes. À la deuxième, il voit apparaître la Sainte Vierge. À la troisième, il reconnaît l’infaillibilité pontificale. À la quatrième, il va se confesser et communier. À la cinquième, l’espérance parle en lui : « Tu iras au Paradis. » À la sixième, la charité parle en lui : « Tu inoculeras ton prochain comme tu fus inoculé toi-même. » À la septième, la foi parle en lui : « Ne cherche plus à comprendre ». À ce moment, je prétends qu’il est guéri. Malheureusement l’Administration, encore enténébrée de grossières superstitions matérialistes, se refuse à reconnaître l’efficacité de ma cure et, tout en les entourant de soins et d’honneurs, elle tient enfermés ici mes guéris. Il est vrai que ceux-ci ne tiennent pas à s’en aller. Ils veulent rester pour aider à la guérison de leurs frères et sœurs, et quelques-uns sont devenus des fabricateurs d’eau bénite, guéris guérissant, curés curant.

« J’ai guéri aussi d’autres catégories de malades. C’est ainsi que de nombreux compositeurs de discours inutiles, abandonnant leurs exercices stériles, ont mis leur talent au service de leurs semblables et des êtres supérieurs. D’aucuns