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Certes, il avait raison et je commençais à me demander si l’infirmier ne s’était pas trompé et si le professeur Mumu n’était pas un homme sain. Je lui posai une question pour m’en assurer :

— Monsieur le Professeur, vous m’avez assez édifié. Mais je serais heureux si vous pouviez me citer un exemple d’un savant au sens où vous l’entendez.

— Je n’en connais qu’un exemple contemporain, dit-il ; c’est moi. Mais j’ai découvert un sérum qui guérira tous les scients. Je ne dis pas que tous deviendront des savants, mais je n’aurai de cesse que je n’aie fait périr jusqu’au dernier microbe du scientisme.

J’étais fixé. L’infirmier n’avait pas menti. Mais, intrigué, je demandai :

— Est-ce donc une maladie microbienne ?

— Oui, et le microbe ne date pas d’hier. Ce protozoaire pullulait dans l’arbre de science. Il passa dans le sang de nos premiers aïeux dès la faute originelle. Contre le microbe, il n’y a qu’un remède radical : la sève de l’arbre de vie. Adam n’avait pas voulu y toucher : « On ne m’y prendra pas à deux fois », disait-il. Mais comment se la procurer ? C’est au bout de dix ans de recherches que j’eus une illumination. Le sérum que je cherchais existait bel et bien depuis des temps immémoriaux ; des spécialistes en fabriquaient chaque jour et l’on pourrait, dès qu’on le voudrait, en produire à peu près pour rien