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J’étais fort surpris d’avoir pu tenir tout ce temps sans boire. Mais cela ne pouvait plus durer longtemps et je me dis même :

— Les dieux, comme l’autre les appelle, zut, je n’irai pas les voir. Ça doit être le même tabac. J’aime mieux m’en retourner tout de suite.

Je me mis donc à redescendre les marches de la cathédrale, que j’avais commencé à gravir. Je me trouvai nez à nez avec mon ami l’infirmier, qui était ponctuel à notre rendez-vous.

— Vous ne pouvez pas retourner par où vous êtes venu. Ce serait beaucoup trop long. Par là, ça ira vite. Et puis songez à vos futurs auditeurs. Ils seraient trop déçus.

C’est de vous qu’il parlait et ce deuxième argument était aussi fort que le premier. Mais j’ai bien peur que vous ne soyez déçus quand même. Pour moi, je l’ai été.

La cathédrale était ornée à l’extérieur d’une quantité de statues en papier mâché qui, paraît-il, étaient celles des anciens dieux. Car les dieux en chair ne viennent là que sur leurs vieux jours ; puis, lorsque leurs corps cessent de fonctionner (prenant alors le nom bizarre de « dépouilles mortelles »), on s’en débarrasse après avoir modelé les effigies que j’étais en train de regarder. Ils n’en continuent pas moins à exercer leurs pouvoirs, par l’entremise des dieux de chair, qui passent pour les inter-