Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/135

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en troupes, vêtus et armés d’une façon uniforme et, grâce à des discours magiques et des exercices physiques collectifs dont nous avons le secret, nous leur donnons ce que nous appelons le « culte de l’idéal commun » : c’est une dévotion absolue à un personnage gueulard et autocratique, ou à certain habillement, ou à quelque mot d’ordre, ou à certaine combinaison de couleurs, peu importe. Il nous suffit alors d’avoir ici deux groupes opposés (ou plus de deux, mais de préférence un nombre pair) de jeunes gens entretenus dans cette tension sentimentale ; la seule précaution à prendre est de ne pas laisser le temps à leur cerveau de fonctionner, mais c’est facile. Alors (vous m’avez compris ?) quand ils sont bien à point, on les lâche les uns sur les autres… et après cela on peut respirer un moment. Du même coup, cela occupe et enrichit les fabricants et les marchands d’uniformes et d’armes et les auteurs d’exhortations à la tuerie, dont l’un écrivait récemment : « Un jeune homme qui n’est pas tué à la fleur de l’âge, ce n’est plus un jeune homme, c’est un futur vieillard. »