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Les Archis, penchés sur la trappe, recueillaient avec avidité les fumées et les louanges qui en montaient et buvaient des yeux les gestes d’adoration que faisaient vers eux les gens d’en bas. Ils semblaient ne se nourrir de rien d’autre et s’engraisser d’entendre citer leurs noms.

Une grande émotion me fit faiblir quand, m’étant approché de l’ouverture, j’entendis, très lointaine, la voix de Totochabo qui, en bas, continuait à discourir. C’était peut-être aussi l’odeur vineuse et les vapeurs d’alcool qui montaient de là et qui, je devais bien me l’avouer avec angoisse, m’étaient assez écœurantes. Au milieu d’un bourdonnement d’oreilles j’entendais donc, un peu nasillarde, la voix (mais je commençais à douter si c’était bien la sienne) qui disait :

— Le mot « taglufon » que j’invente à l’instant pour désigner précisément un mot arbitrairement forgé, ou l’épithète « inqualifiable », ou la proposition « je mens », ou même le mot « mot » sont, comme les appelle notre grand Archilinguiste, des expressions ourobores, c’est-à-dire qui se mordent la queue, à l’instar du fameux serpent.

S’entendant nommer, l’Archilinguiste tressaillit, s’épanouit et enfla considérablement. En pareil cas, la coutume demandait, sans l’y obliger tout à fait, qu’il donnât quelque chose en remerciement de ce festin de gloire. Il