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TROISIÈME PARTIE

LA LUMIÈRE ORDINAIRE DU JOUR

1

Reçu par une paillasse, je n’avais rien de cassé. J’étais seulement étourdi de constater que j’étais tombé d’à peine une hauteur d’homme ; la trappe n’était pas à deux mètres du sol. J’avais espéré, confusément, quelque chose comme la chute de l’ange à travers quatorze abîmes, quelque chose de glorieux et de catastrophique, et c’était juste une petite secousse comme dans un autobus qui s’arrête trop brusquement. Je m’attendais ensuite à être accueilli par des explosions de rires. Mais c’était le silence. La salle était vide et je me rendais compte maintenant qu’elle n’était pas plus grande que celle d’une auberge de campagne. Quelques chandelles brûlaient encore au milieu de leurs larmes figées. À terre des bouteilles cassées, des pots, des cruches, deux ou trois tonnelets vides, des mégots, des boîtes de conserves, des verres et des tasses, pêle-mêle, me prouvaient que la beuverie n’avait pas été un simple rêve.

Mais où étaient les buveurs ? Beaucoup, sans doute, avaient tenté de s’évader et ils devaient être là-haut d’où je venais, en train de bougeotter, de fabriquer ou d’expliquer. Certains n’avaient peut-être été que des projec-