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Je me levai donc et cherchai d’abord quelque chose à boire. En rassemblant des fonds de bouteilles, j’obtins un verre d’une boisson assez écœurante, mais qui me rafraîchit un peu.

Je fis le tour de la pièce. Il n’y avait pas de porte donnant sur l’extérieur. J’étais enfermé comme une abeille dans un coffre-fort. Par la fenêtre, je ne voyais que d’épais barreaux de fer et le reflet dans les vitres de ma propre silhouette. Un petit escalier raide menait à une soupente où je ne trouvai qu’un vieux lit de fer et quelques malles de bouquins ; c’est tout ce qui restait des paradis artificiels, c’était toute la réalité matérielle de cette fantasmagorie. Là aussi, la lucarne était solidement grillagée. Dehors, il faisait nuit noire.

Je redescendis et alors mon premier souci fut pour le feu qui s’assombrissait dans la cheminée. Les coffres à bois étaient vides. Je cassai avec beaucoup de peine la plus vieille chaise. La paille du siège, au contact des tisons, s’enflamma facilement. Pour les barreaux et le dossier, il me fallut souffler à m’en vider la tête. Le pauvre feu était à bout de forces ; il voulait se laisser mourir de faim, ou peut-être faisait-il des manières. Enfin le voici qui commence à lécher un morceau de vieux chêne, à faire crever de petits cratères bruns dans le verni, à noircir le bois qui se couvre peu à peu d’un fourmillement de points ardents, et tout à coup il aboie,