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Les trois chaises, tour à tour, allèrent au feu. Puis un fauteuil, puis les douves des fûts vides, puis la paillasse.

Après chacun de ces sacrifices, j’allais appliquer mon nez sur la vitre d’une fenêtre. Au-dehors, ce n’était que le noir innommable. Et moi qui m’étais cru poète, je ne savais pas trouver les mots pour appeler le soleil. Je lui disais :

— Soleil ! sors de ton trou, casse le couvercle, frappe les brouillards, mange la nuit, dissous le noir, montre-toi, montre-nous le monde, montre-nous au monde, parle, Soleil, sors de ton trou, parle, montre que tu es, montre qui tu es !

C’était trop maladroit. Je jetais du bois au feu et j’essayais un autre ton :

— Sors donc de là, si tu peux ! Montre-toi, si tu l’oses ! Mais tu as bien trop peur de l’ombre, tu crèves de peur dans ton trou, petit trou toi-même dans le ciel noir, pauvre vieux soleil, petite absence ronde.

Je n’avais pas plus de succès. Après avoir donné au feu quelques planches d’une vieille armoire, je reprenais :

— Viens, Soleil, la table est servie pour toi. Tous les arbres, toutes les herbes, toutes les bêtes et tous les hommes, toutes les mers et tous les fleuves attendent que tu viennes les saisir de tes bras brûlants, les élever jus-