Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/148

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qu’à ta gueule dévorante, bouche du ciel ; viens boire et manger, la table est servie de l’Est à l’Ouest.

C’était aussi peu efficace. Bientôt, il n’y eut plus rien à brûler dans la salle. J’allai chercher la literie qui était dans la soupente et la donnai peu à peu aux flammes.

— Soleil, toi le plus vieux, toi le plus jeune, toi le plus sage et le plus fou, toi qui n’es jamais diminué, jamais partagé, toujours seul et pourtant contenu tout entier dans chaque œil vivant, toi le plus grand, qui peux emplir l’espace, toi le plus petit, qui passes par le trou d’une aiguille, toi le plus libre, que rien n’atteint, mais aussi le plus enchaîné à la loi, toi qui ne peux pas ne pas te lever tout à l’heure !

C’était plus habile, me semblait-il, mais c’était aussi vain. Il me fallut bientôt commencer à brûler les livres. On n’a pas idée comme c’est difficile. Les livres brûlent très mal, très lentement, en donnant plus de cendres que de flamme. Il faut les feuilleter, pour la dernière fois, du bout du tisonnier, page par page, au sein du feu ; sans quoi ils charbonneraient en surface, s’éteindraient et étoufferaient les flammes. Et ils font une masse de cendres stratifiées qu’il faut pulvériser, sans pitié pour les écrits que l’on aimait, lorsqu’ils repassent sous vos yeux, imprimés en blanc sur les feuilles noires et fragiles qui se soulèvent et puis se ratatinent avec des bruissements secs.