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Tant qu’on brûle des livres, on ne peut guère parler. Et après les livres, il fallait tout de suite autre chose. Je grimpe dans la soupente, fouille tous les coins ; rien à brûler. Je redescends, je cherche encore, mais je ne trouve rien. Mes yeux font encore un tour désespéré d’horizon, ne rencontrent que pierre et fer ; je ne pouvais quand même pas mettre le feu à la maison. Et comme mes yeux retombaient découragés, ils rencontrèrent tout contre moi ce que je cherchais loin de moi, l’étoffe de mes vêtements qui pouvait brûler.

Avec le linge, c’était assez facile. Mais brûler un veston, c’est aussi malaisé que de brûler un dictionnaire. Pour un petit point incandescent, vous avez tout de suite un bourgeonnement de scories, comme des têtes de nègres lépreux qui se dressent, avec une fumée épaisse et âcre où flottent de petits aérostats de suie. Heureusement que mes habits n’étaient pas de pure laine et que la cheminée, maintenant, tirait bien.

Tout en faisant brûler mon pantalon, fil par fil, en fouillant sans cesse du tisonnier pour mettre à portée des flammes rechignantes les parties intactes du tissu, je voyais pâlir étrangement le feu. Un petit vent frais passait sur mes épaules nues. Une lueur laiteuse faisait fondre les ombres tout autour de moi. Je rassemblai les braises encore incandescentes et les couvris de cendres pour que le feu durât encore. Je m’approchai de la fe-