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Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/151

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Puisque j’ai dépassé depuis longtemps les limites du vraisemblable, vais-je me tirer d’affaire en réveillant mon héros et en lui faisant dire : ce n’était qu’un rêve ? C’est une vieille ficelle que je ne dédaignerai pas d’employer encore. Mais le narrateur qui en use ne met d’ordinaire pas en doute cette convention que le rêve est mensonger et la veille vraie. Admettant même que cette proposition soit acceptable dans la vie courante, sous la réserve que rêve et veille sont relatifs l’un à l’autre, dans le monde du récit elle devient suspecte, puisque là les états en question sont eux-mêmes des artifices narratifs, donc des mensonges. Peut-être faut-il alors renverser les termes. Si oui, vous qui m’écoutez et moi qui vous parle nous jouerions donc une comédie de rêve dans la demi-somnolence où nous a plongés mon récit. Et si tout à coup nous allions nous réveiller ? Vous, je ne sais pas où ni comment vous vous retrouveriez. Pour moi, toute cette histoire de la grande beuverie et des paradis artificiels s’évanouirait dans les profondeurs du sommeil et je me réveillerais tout nu, prisonnier dans cette maison sans porte qui, juste au moment où le soleil se levait, se mettait à frémir comme un steamer qui part, à rouler et à tanguer et à m’envoyer dans tous les coins, bien réveillé cette fois, affreusement réveillé.