Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/156

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

8

Enfin ma maison s’était lentement soulevée de terre sur deux piliers articulés. Deux grands balanciers, attachés à l’étage intermédiaire, maintenaient l’équilibre. Au bout des balanciers, des pinces semblaient agencées pour des usages très variés.

Prudemment, j’essayai de mettre ma maison en marche. Puisque je ne pouvais en sortir, eh bien, je me déplacerais non seulement avec elle, comme l’escargot, mais grâce à elle, comme l’automobiliste. Un automobiliste, justement, me disait qu’à force de conduire il finissait par sentir sa voiture comme si elle avait été son propre corps ; il se sentait alourdi par un passager supplémentaire et il percevait la dureté des graviers que les pneus chassaient sous eux. La même chose m’arriva bientôt avec ma demeure ambulante. Maintenant, quand je dis « je », c’est souvent de la maison qu’il s’agit et non de moi. Peut-être même qu’en ce moment je ne dis rien et que c’est ma maison qui parle à vos maisons ; en ce cas, plaçons ici, encore une fois, le procédé littéraire du réveil et reprenons le langage illusoire qui nous est si commode.

J’achevai donc de me lever sur mes jambes, je m’étirai, dirigeai mes pas hésitants vers une armoire à glace et, par les trous de mes yeux, je regardai le reflet de mon véhicule. Toutes proportions gardées, c’était une assez bonne image de moi-même.