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Je m’habillai et sortis dans la rue. Je marchai longtemps, laissant mes jambes me conduire. Que le monde était beau — l’humanité à part ! — Chaque chose à chaque instant accomplissait l’action nécessaire, sans discuter. L’unique unique sans s’altérer se niait indéfiniment en infinités d’unités qui reconfluaient en lui, la rivière allait mourir en mer, la mer en nue, la nue en pluie, la pluie en sève, la sève en blé, le blé en pain, le pain en homme — mais ici, cela n’allait plus tout seul, et l’homme regardait tout cela de l’air ahuri et mécontent qui le distingue entre tous les animaux de la planète. Du haut en bas et du bas en haut, chaque chose — à part l’humanité — décrivait le cercle de sa transformation. Un tourbillonnement de plus en plus compact descendait jusqu’à la Terre, où le lourd protoplasme aux molécules trop grosses, ne pouvant plus descendre, se retournait et lentement remontait le courant, du bacille au cèdre, de l’infusoire à l’éléphant. Et le mouvement de ce cercle aurait été parfait de toute éternité, n’eût été l’humanité, rebelle à la transformation, qui essayait péniblement de vivre pour son compte dans la petite tumeur cancéreuse qu’elle faisait sur l’univers.