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Elles étaient assez ardues et, préoccupé de boire, je n’en ai retenu que quelques éléments. Il était question d’abord d’une gamme de voyelles, expliquée je ne sais trop comment à l’aide des mots : ou, eau, a, œufs, est, haie, y, que Totochabo avait écrits à la craie sur la hotte de la cheminée et qu’il nous avait priés de lire à haute voix. Ç’avait été un beau vacarme. Les uns s’exerçaient consciencieusement, d’autres faisaient des calembours que d’autres trouvaient bêtes, des gros mots s’échangeaient, des jugements définitifs étaient lancés dans l’air et tout à coup on vit un certain Francis Coq debout, qui se préparait à se fâcher. Il nous défia tous d’un nez tranchant et humide, tapa sur la table, se blessa sur un éclat de verre, essaya, avec un regard en coin, de faire passer son bavement alcoolique pour un des signes classiques de la fureur, eut l’air très peu à l’aise et s’écria d’une voix de fausset, de plusieurs tons plus élevée que celle dont il voulait appesantir l’atmosphère : « Eh bien-alors-quoi » et il se rassit, mais ses paroles, hérissées de gêne intérieure, imposèrent le silence mieux que n’aurait fait la gravité du discours qu’il avait conçu.

J’allais enfin parler, quand soudain la grosse fille très instruite m’en vola l’occasion :

— Tout cela est bien futile, l’entendîmes-nous grogner. Nous ne sommes pas ici pour parler littérature,