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Il n’était pas le seul à faire de l’agitation. Dans un autre coin, Amédée Gocourt était monté sur des tréteaux et discourait dans son style coutumier :

— Citoyens, je vous demande pardon. Mais l’heure est dramatique comme la marée humaine. C’est l’heure où le regard du poète, aiguisé par les données les plus récentes de la psychanalyse, s’incurve vers les abîmes cardinaux de son malheur. Que ramène-t-il de la pêche en âme trouble, des limons sanglants d’une foule unie par les tournants fulgurants de l’histoire et que la ville n’a pas vomie ? C’est le poisson nocturne du désastre, signe d’une captivité particulière dans l’actuelle conjonction de nos hasards, conjonction brûlante comme le feu où furent forgées les chaînes que bientôt viendra briser l’épanchement cataclysmique de la grande Révolution Onirique. Je suis désolé, camarades, excusez-moi, car non, tout de même, est-ce que vous ne trouvez pas cela intolérable ?

Là-dessus le groupe se mettait à murmurer, des scissions se faisaient, les uns restaient à bourdonner sur place, les autres essaimaient autour d’autres prophètes. Quelques-uns s’enfermèrent dans un placard avec une queue-de-rat allumée, des canettes de bière et beaucoup de papier et commencèrent à rédiger un gros traité en dix volumes des Erreurs qui restent à commettre dans l’interprétation de ce que n’est pas la dialectique matérialiste.