Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/57

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

DEUXIÈME PARTIE

LES PARADIS ARTIFICIELS

1

Après ce jugement que je portais pour la troisième fois sur moi-même, j’étais vraiment décollé. Je dormis un peu, puis je me retrouvai tout seul au milieu d’une foule de plus en plus nerveuse. Je n’adhérais plus très bien à rien, sauf à la soif. Tout en buvant de fort mauvais rhum, sans me douter du voyage que j’allais faire une minute plus tard, je tâchais de me souvenir que j’étais venu pour écouter un discours sur le quoi, sur quoi donc, sur la puissance des, comment disait-il, j’avais le mot sur le bout de la langue, je prête l’oreille à tout hasard, j’en oublie d’ouvrir l’œil et malheur ! je n’avais même pas eu le temps de ressaisir le fil que quatre-vingt-dix kilos me tombent sur l’estomac, me culbutent, me demandent pardon, demandent pardon au pavé, à ma bouteille, s’excusent auprès d’un tabouret, se relèvent avec la prestesse d’un poussah à cul de plomb et, c’était Amédée Gocourt, il me dit :

— Excuse-moi, mon vieux, je cherche la sortie.

C’était justement la chose à ne pas dire. Trois costauds jaillissent des ombres, attrapent Gocourt au collet :

— La quoi ? Tu cherches la quoi ?