Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/59

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Un grand infirmier sale arriva, me fit un sourire édenté et m’expliqua :

— Ici c’est la section des accidentés. Comme leur nom l’indique, ils ont été amenés par des causes fortuites à vouloir sortir ou à penser qu’on pouvait sortir d’ici. Vous voyez les résultats.

En effet, l’un avait le crâne bandé, l’autre un bras emmailloté de pansements, un autre avait une jambe dans une gouttière, un autre un bandeau noir sur l’œil, un autre de la glace sur l’estomac, et les uns dormaient, d’autres s’agitaient dans la sueur des cauchemars, ou déliraient, ou geignaient, ou gardaient un silence farouche.

— Et que leur fait-on ? demandai-je.

— Nous les soignons de notre mieux, et quand ils sont en état, on les renvoie en bas.

— Mais boivent-ils ? insistai-je.

— Nous faisons tous nos efforts pour ça, bien entendu, et c’est même en cela que consiste le traitement de leur état général. On commence avec dix gouttes de cidre dans leur petit déjeuner, et l’on augmente progressivement les doses. Quand ils peuvent boire leurs six apéritifs par jour, ils sont renvoyés en bas et peuvent recommencer une vie normale. Mais on continue à les surveiller, de peur d’une rechute. À propos (ici il me jeta un coup d’œil soupçonneux), vous n’avez pas soif ?