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Tout en marchant je songeais :

« Et dire que nous sommes simplement dans un grenier, sous les combles d’une maison perdue on ne sait en quel point du globe, ni même si c’est un globe, et en tout cas ce n’est pas un point ; dans un petit coin d’un grenier vivent ou croient vivre ou je crois voir vivre ces populations. Et dire qu’un simple petit escalier raide les sépare de la salle enfumée d’en bas, où le vieux est en train de discourir sur la puissance des mots, où l’on boit dur, où j’ai hâte de redescendre.

« En bas la soif, la soif toujours nouvelle, les chandelles toujours près de s’éteindre, mais tant qu’elles luisent si peu que ce soit, elles brûlent aussi et donnent soif.

« Ici la soif désaltérée de boissons illusoires, la lumière éclatante de soleils électriques et froids. Ici il fait froid, en bas il fait sombre. Et les plus saouls ne sont pas ceux qui boivent.

— Un peu de patience, m’interrompit l’infirmier. Nous en aurons bientôt fait le tour. Jetez un coup d’œil, en passant, sur cette femme qui est passée maître dans l’art de faire des gestes inutiles.

La femme en question, vêtue d’un faux péplum, marchait et gesticulait sur une estrade devant quelques centaines de spectateurs ravis. Grâce au dictionnaire de poche, qui contenait aussi l’explication du langage par