Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/86

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défient les siècles. Du même coup, quelle liberté nous avons gagnée ! Plus d’auditeurs gênants dont le caprice ou la stupidité nous imposeraient de parler autrement ou plus clairement que nous ne voudrions. Plus de responsabilités qui couperaient les ailes à notre inspiration. Plus de limites de temps non plus ; nous mettons dix minutes ou six mois à produire un poème, comme il plaît à notre lyrisme.

Lyrisme ? Je ne connaissais pas ce mot-là. Je consultai le dictionnaire de poche et je lus :

Lyrisme, subst. msc., dérèglement chronique de la hiérarchie interne d’un individu, qui se manifeste périodiquement chez celui qui en est atteint par un besoin irrésistible, dit inspiration, de proférer des discours inutiles et cadencés. N’a rien de commun avec ce que les anciens appelaient lyrisme, qui était l’art de faire chanter la lyre humaine préalablement accordée par un long et patient travail.

Le Pwatt continuait :

— Nous autres Pwatts sommes partagés en deux sous-clans : celui des Pwatts passifs et celui des Pwatts actifs. Les premiers sont certainement les meilleurs, et je suis bien placé pour vous en parler, car je suis unanimement considéré comme leur représentant le plus brillant. Ce sont des questions de méthodes qui nous séparent. Nous ne nous fréquentons guère. Nous, Pwatts passifs, voici comment nous pratiquons :

« On attend d’abord que se produise un état de malaise particulier, qui est première phase de l’inspiration, dite « vague à l’âme ». On peut parfois aider ce malaise à se déclarer en mangeant trop, ou pas assez ; ou bien, on prie un camarade de vous insulter grossièrement en public et l’on s’enfuit en se répétant intérieurement ce que l’on aurait fait si l’on avait été plus courageux ; ou bien on se laisse tromper par sa femme, ou l’on perd