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Il me fit entrer dans une maison d’aspect très quelconque. Nous montâmes deux étages ou trois, il sonna à une porte, me présenta à un certain « Monsieur Aham Egomet » et me dit avec un clin d’œil malicieux :

— Je vous laisse ensemble pour quelques minutes. Pendant ce temps, j’irai vérifier si les Kirittiks sont suffisamment approvisionnés de lecture, car c’est de cela seulement qu’ils s’abreuvent. À tout à l’heure.

Pour la première fois depuis mon excursion parmi les Évadés, je me trouvais comme chez moi. La chambre où j’étais m’était si familière que je serais incapable de la décrire. Je ne saurais davantage vous donner un portrait d’Aham Egomet, car ce personnage, me semblait-il, ressemblait à n’importe qui. Il répondait au « signalement » classique des commissariats de police. Signe particulier : néant. J’aurais été parfaitement à l’aise dès le premier instant avec cet individu, si je n’avais eu le sentiment obsédant d’être épié par des milliers d’yeux et d’oreilles invisibles, d’être devenu transparent à tout. Egomet me fit un sourire d’abominable complicité et me dit ce qu’il faisait.

— Moi, mon cher, c’est une tout autre histoire. Je suis ici en reportage. Je fais seulement semblant d’être atteint par leur mal, pour mieux les étudier. Après, je redescendrai et je publierai de mon voyage un récit qui fera sensation. Cela s’appellera (ici il s’approcha de mon