Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/93

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oreille) la Grande Beuverie. Dans une première partie, je montrerai le cauchemar de désemparés qui cherchent à se sentir vivre un peu plus, mais qui, faute de direction, sont ballottés dans la soûlerie de boissons dont le rafraîchissement ne dure pas. Dans une deuxième partie, je décrirai tout ce qui se passe ici et l’existence fantomatique des Évadés ; comme il est facile de ne rien boire, comment les boissons illusoires des paradis artificiels font oublier jusqu’au nom de la soif. Dans une troisième et dernière partie, je ferai pressentir des boissons à la fois plus subtiles et plus réelles que celles d’en bas, mais qu’il faut gagner à la lueur de son front, à la douleur de son cœur, à la sueur de ses membres. Bref, comme disait le sage Oïnophile, « alors que la philosophie enseigne comment l’homme prétend penser, la beuverie montre comment il pense ».

Il fut interrompu par l’infirmier, qui était de retour et me pressait de continuer le voyage. En sortant de la maison, je lui dis :

— Mais il n’est pas malade du tout, celui-là !

— Ils disent tous ça, répondit-il ; et il ajouta après un moment de réflexion : d’ailleurs, s’il est malade ou non, vous seul pouvez le savoir. Et s’il est malade, vous seul pouvez le guérir.

C’était une lourde tâche. Je la pris pourtant sur moi. Depuis lors, Aham Egomet et moi, nous nous écrivons aussi régulièrement que le permettent les services postaux. Parfois même nous nous voyons. Il m’informe de ce qui se passe là-bas et, de mon côté, je m’efforce par mes conseils de le tenir à l’abri de la contamination.