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Nous laissâmes de côté une foule de variétés secondaires de Fabricateurs. Mon guide aurait bien voulu m’entraîner dans une vaste usine où l’on fabriquait des films cinématographiques, mais le spectacle que j’entrevis dès qu’il m’eut ouvert la porte me repoussa si fort que je ne voulus pas en voir davantage. Sous une lumière aveuglante, entre une forêt vierge en papier, un coin de port de mer en carton et une moitié de chambre à coucher de nouveau riche, parmi des ficelles, des planches qui se balançaient dans l’air, des poutrelles et des câbles électriques, un homme et une femme en tenues de soirée, aux visages graisseux d’emplâtres multicolores et ravinés de ruisseaux de sueur, faisaient et refaisaient sans arrêt le geste de se rencontrer par hasard et de se serrer la main. L’homme disait chaque fois : « Bonjour, Mademoiselle » et la femme souriait d’un air gêné. Pendant ce temps, les quelques vingtaines de personnes qui assistaient à la scène retenaient leur souffle et essayaient de faire ce qu’ils appellent le silence. Chaque fois que la scène était finie, quelqu’un disait avec mauvaise humeur : « Ce n’est pas encore cela, on recommence » ; chacun alors prenait un air très important et l’un entrait dans une cabine capitonnée, un autre grimpait à une échelle et braquait un projecteur, un autre avalait une citronnade, trois autres allaient coller leurs yeux aux ouvertures d’un cyclope de métal trapu, les uns en salo-