Page:Daumal - La Grande beuverie, 1939.djvu/98

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des cas, est encore plus fort que lui. En se donnant un mal de chien savant, l’agi arrive plus ou moins à faire vivoter dans son semblant de corps ce semblant d’être. Le public crie au miracle, admire et paie.

— Mais pourquoi le public vient-il voir ces images mortes de manifestations mortes de dieux mort-nés ?

— D’abord parce que, dans l’obscurité de la salle à projections, il peut voir sans être vu, entendre sans répondre et contempler (sans risque, croit-il) des êtres fantastiques (qui finissent tout de même par le posséder). Ensuite parce qu’en les voyant il se donne l’illusion d’avoir vécu à bon marché toutes sortes de joies, de crimes, de sottises, de vices, de vertus, de bonnes actions, de gestes héroïques, de nobles sentiments et de petites lâchetés qu’il n’aurait jamais le courage de vivre pour de bon.

— Drôle de plaisir. Se faire ainsi tripoter les imaginations par des imitateurs de fantômes, dans une salle obscure…

— Voyons, voyons, ne faites pas le naïf. Tout le monde aime cela. Même la pieuvre aime qu’on la chatouille.