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Page:Daveluy - Le filleul du roi Grolo, 1924.djvu/11

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sept ans. Nous sommes de pauvres gueux, éloignés les uns des autres. Trois ou quatre lacs séparent cette hutte d’autres huttes aussi misérables que la nôtre.

— Ah ! ah !… dit pensivement le roi. Et devant ses yeux parut sa ville luxueuse, où l’abondance et le bien-être engourdissaient les êtres.

« Alors, reprit-il, c’est un long voyage que nous entreprenons, demain ? »

— Non, non, dirent les époux. Deux jours seulement notre barque est rapide comme une flèche. Elle est construite avec le bois de certains arbres chers aux fées. On dit qu’elles se reposent dans leur feuillage la nuit, de leurs danses mignonnes. Le roi sourit. « Fort bien… Je voudrais savoir également, mes amis, où se trouvent vos quinze enfants ? Et mon filleul ? Croyez que je souhaite le connaître.

— Tous les enfants sont dans la forêt, apprit le bûcheron. Je les accompagne d’ordinaire. Aujourd’hui, l’inquiétude me rongeait trop le cœur. Nous abattons des arbres, nous fendons et ramassons du bois. De temps à autre nous allons vendre ce bois à l’entrée de la forêt voisine. Un officier du roi y passe tous les ans. Ah ! mon bon monsieur qu’il est dur cet officier ! Qu’il se moque de pauvres gens comme nous ! Il garde tous les profits et ne nous laisse de monnaie que juste ce qu’il faut pour ne pas mourir de faim. « Ordre de son maître, le roi Grolo ! » ricane-t-il, lorsque nous nous plaignons. Et cependant, acheva amèrement le bûcheron en baissant la voix, notre souverain est surnommé Grolo-le-bon.

Le roi tressaillit et détourna un instant les yeux.

« Oh ! mon homme, mon homme, pleura la femme effrayée, qu’oses-tu dire ? Si l’on t’entendait ? Charitable monsieur, vous ne rapporterez pas au roi Grolo les paroles imprudentes de mon mari. Vous connaissez le roi, n’est-ce pas ?

— Oui, je le connais, soupira Grolo, et c’est dommage qu’on ne lui dise pas la vérité plus souvent.

— Croyez-vous, reprit la femme, intéressée ? Parlez-nous du roi, voulez-vous, comment vit-il, et…

— Comptez sur moi, pauvres gens, continua Grolo sans répondre à son interlocutrice, pour plaider votre cause auprès du souverain, pour essayer d’améliorer votre sort… et ajouta-t-il entre les dents, le caractère de ce vilain bonhomme d’officier ».

Le roi devenait soucieux et ne parla plus. Les bûcherons, intimidés, n’osaient bouger.

Des cris, des chants, le bruit de pas nombreux dans les broussailles signalèrent enfin l’arrivée des enfants. Le bûcheron se leva et jeta, craintif, à l’étranger : « Voici mes quinze gars, fidèles sujets, comme moi, du roi Grolo, qui ne nous verra jamais ».

— Qui sait, qui sait, repartit énigmatiquement le roi en sortant de la hutte à la suite au bûcheron.

La femme demeura au logis. Soigneusement, elle pesa, compta, admira, puis enfouit dans un bas les vingt pièces d’or. Ses yeux brillaient. « Tous les deux ans, se disait-elle, tous les deux ans il en viendra de nouvelles. Notre misère est finie. Mais qui est cet étranger ?… Bah !… qu’est-ce que cela peut nous faire ? Il ne veut pas que nous le sachions. À son aise. C’est son affaire. Eh ! je ne suis pas curieuse, quoique femme. Mon homme s’en étonne toujours, c’est singulier ».

Durant ce monologue, une joyeuse présentation avait lieu au dehors. Les enfants du bûcheron, chacun ayant sur l’épaule une hache étincelante, grande, moyenne, petite, suivant l’âge, défilaient devant Grolo. Il souriait, donnait de petites tapes sur les joues rouges et fort appétissantes.

« Douze, treize, quatorze… achevait de compter l’heureux papa. Ah ! ça, cria-t-il tout à coup, où est mon petit joyeux ? mon Jean ? Jean ?… Où te caches-tu, mon maraud ? »

Un éclat de rire au loin lui répondit. Tous levèrent la tête. Jean-le-joyeux venait à fond de train, monté sur le cheval blanc de l’étranger. Il tenait fortement la bête par la crinière.

« Père, père, dit-il tout essoufflé, lorsqu’on eut accouru à la hâte près de lui, cela a été dur, bien dur, de grimper ici. Mais j’ai réussi, j’ai réussi, ah ! ah ! ah !… Que c’est amusant d’être perché si haut. Ah ! ah ! ah ! »

Et le petit riait, battait des mains, faisait des pied-de-nez à ses frères, riait encore et tout cela de si bon cœur que tous se mirent bientôt à rire à l’unisson. On voyait que ce jeune frère était le favori de tous, pas de danger, allez, petits, qu’on l’eût vendu comme Joseph, le fils de Jacob.

Grolo s’approcha de son filleul. Il aurait voulu le gronder. Quelle imprudence d’avoir osé monter ce cheval, le pur sang, le plus vif des étables royales. Il n’eut pas le temps d’ouvrir la bouche. L’enfant lui passait les bras autour du cou et gazouillait déjà : « Ne dites rien, monsieur, rien, rien. C’est à vous ce beau cheval, n’est-ce pas ?… Comme vous êtes beau, vous aussi, ah ! beau, plus beau encore que le cheval, ajouta-t-il naïvement.

Grolo se sentit désarmé. « Ainsi, tu me trouves à ton gré, petit diable. Eh bien ! demain, je serai ton parrain. Cela te va-t-il ? »

À la grande surprise de Grolo, le petit glissa comme une anguille de ses bras. Il courut à son père, rouge de saisissement.

« Petit père, c’est vrai cela ? »

— Oui, dit le bûcheron d’une voix rauque.

— Quel bonheur ! cria Jean. Il embrassa son père encore et encore. Tu ne soupireras plus. Mère ne pleurera plus.

— Remercie le riche étranger, mon Jean, souffla le bûcheron à l’oreille de son fils.

— Non, toi d’abord, toi. Tu es si bon.

— Chut ! souffla encore le bûcheron qui voyait que Grolo les entendait.

Mais Grolo était enchanté de la scène. « Il a du cœur ce petit, songeait-il, en plus de sa hardiesse, de son courage et de sa belle humeur. Ah ! si ma petite princesse Aube le voyait ! Quelles bonnes parties ils feraient tous deux dans les jardins du palais ! »

Au souvenir de sa petite fille son visage se rembrunit. Il serait donc séparé de sa mignonne enfant deux longs jours encore. Et si la reine Épine allait la gronder injustement. Cela lui arrivait lorsqu’il était absent de la ville. Grolo soupira.

Jean courut se blottir contre lui. Il caressa sa main.

— Pourquoi tu es triste, mon beau monsieur ? demanda-t-il. Tu as un gros cheval, tu as des pièces d’or. Beaucoup, beaucoup de pièces d’or, père me l’a dit. Mais peut-être tu n’as pas quinze enfants, ajouta-t-il, inquiet ? Oui, oui, c’est ça. C’est ennuyeux, chez toi, n’est-ce pas ?

— J’ai une belle petite fille qui s’appelle Aube et qui m’aime beaucoup, lui répondit Grolo, qui s’amusait de ce candide babil.

— Monsieur, qu’est-ce que tu as là ? s’exclama soudain l’enfant. Il venait de voir étinceler au doigt du roi les feux d’un diamant. Un diamant, certes, que seul un roi pouvait se procurer.

— Petit curieux !… Et vivement Grolo fit disparaître la bague dans sa poche.

— Oh ! fit Jean avec une moue, tu ne veux pas que je regarde ton morceau de soleil. C’est une fée qui te l’a donné ?

(À suivre)
Marie-Claire Daveluy.