Page:Daveluy - Le filleul du roi Grolo, 1924.djvu/48

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est-ce que je ne recule pas ainsi le moment de nos adieux… Je l’appréhende… Je m’attache déjà à vous, petit, savez-vous ?… Bah ! nous nous reverrons, l’inattendu se produit si souvent dans la vie. »

Tous deux lentement s’engagèrent dans la forêt. L’étranger seul parlait. Jean demeurait sombre et la tête basse.

Enfin l’étranger retira son bras. Il l’avait affectueusement passé sous celui de Jean. « Je ne vais pas plus loin », dit-il. Il sortit de sa poche un minuscule paquet : « Prenez ceci, mon enfant, vous le savourerez en route en pensant à moi. »

Jean remercia, déposa sa hache près d’un arbre et se hâta de placer les provisions de l’étranger dans sa besace. Il tourna le dos quelques instants.

« Voici le moment », se dit l’étranger. Il redressa sa haute taille. Il sortit de sa canne en acajou une épée à la lame fine, la palpa, sourit, puis attendit, le pied ferme, le torse rejeté en arrière, que Jean se retourna.

« Seigneur », commença Jean, en relevant la tête… La stupéfaction fit tomber la besace de ses mains. Il demeura immobile, paralysé. En face de lui, l’étranger, les yeux agrandis, la bouche tordue par une sorte de joie mauvaise et triomphante, le brûlait du regard. Une arme qu’il sentit plus qu’il ne vit entrait lentement dans sa poitrine.



« Vite, petit, vite, cria impérieusement l’étranger, remettez-moi la lettre du roi et la montre enchantée. Vous n’aurez la vie sauve qu’à ce prix. »

Jean crut à une crise subite de folie. « Là, là, seigneur, dit-il doucement, calmez-vous ! » Il essaya d’écarter l’épée. Il ne réussit qu’à se faire une large entaille à la main. Le sang s’échappa.