sur les pas de la mère et promener dans l’existence une fantaisie débridée, mais inoffensive.
« Malheureusement, Edward avait hérité de son père des instincts plus dangereux. Hyporite, vicieux, avide de toutes les débauches, il devint très vite un effréné viveur qui se vautrait dans toutes les fanges. Le plus clair de l’argent que John donnait à sa sœur servait à payer cette vie peu recommandable.
« Mon pauvre mari ne s’en était jamais aperçu et cet aveuglement fut peut-être la seule faiblesse du cher homme.
« Quant à moi, j’avais ouvert les yeux tout de suite.
« Et l’on voulait m’unir à ce jouisseur ? Vous comprenez qu’à cette idée, mon sang n’avait fait qu’un tour.
— VI —
— Mais pourquoi voulait-il m’épouser ?
« Je n’eus pas à réfléchir longtemps pour démasquer ses projets.
« Comme le testament de son oncle ne lui accordait la fortune qu’à ma mort, il songea avec terreur que sa jeunesse se passerait dans l’attente, car je n’étais pas vieille !
« Il n’était pas d’humeur à attendre ainsi : cet argent, il le lui fallait immédiatement.
« Mais comment s’en emparer ? Comme je le possédais, il n’y avait qu’une chose à faire : m’épouser. De cette façon, devait-il s’être dit, il lui serait facile de mettre la main sur la plus grande partie du revenu et même du principal, car il me croyait faible, ignorante de toute question financière et facile à berner.
« Pour réussir dans son entreprise, il s’était assuré les bons offices de l’administrateur de mes biens.
« Par quel moyen ? Il n’était pas difficile de le deviner : Edward avait promis à Jarvis une appréciable part du gâteau. Les deux bons apôtres se seraient partagé ce qui m’appartenait.
« La rebuffade que provoqua leur première tentative ne les découragea pas.
« Ils revinrent avec insistance à la charge et Edward entreprit de me faire une cour assidue, pressante.
« J’en étais extrêmement ennuyée et ma vie en devenait intenable. Aussi, je me fâchai un beau jour et lui signifiai son congé en des termes tels qu’il se le tient pour dit. J’eus la paix pour quelques semaines.
— VII —
— À quelque temps de là, pour je ne sais plus quelle question d’affaire, la veuve d’un ami de John m’envoya son fils.
« Je lui exprimai ma surprise qu’il n’allât pas s’entendre avec mon administrateur. Mais il m’exposa que l’affaire en question relevait moins de la finance que de l’amitié, puisqu’il s’agissait d’un des innombrables secours accordés par mon si généreux mari. C’est pourquoi, la mère de mon visiteur, ne pouvant venir elle-même de la Floride où elle demeurait, avais chargé son fils de venir me voir.
« Ce jeune homme, — Gaston Peltini, — était charmant et il me plut, je dois l’avouer. Beau, intelligent, cultivé, il avait des manières, une conversation et une délicatesse comme on en voit fort peu souvent dans notre grossière société américaine.
« Il me parla de mon mari, de notre château, des pays que j’avais visités et qu’il connaissait, de littérature et d’art. Bref, il me fit passer une soirée des plus agréables, ce qui ne m’était arrivé depuis longtemps. Ainsi ne me suis-je pas fait prier quand il me demanda la permission de revenir chez moi.
« Il revint et prit tout de suite l’habitude de veiller tous les soirs avec moi : quinze jours plus tard, nous prenions même notre dîner ensemble, tous les jours.
« Nous étions inséparables. Sans oublier mon cher John ni mes projets d’avenir, je sentais la douceur de l’amitié de Gaston. La vie reprenait une certaine saveur pour moi.
« Un soir, au moment de me quitter, Gaston me déclara, très simplement, qu’il m’aimait et que son rêve serait de m’avoir pour épouse.
« Surprise, je lui promis une réponse pour le lendemain.
« Je passai la nuit à réfléchir. D’abord révoltée à l’idée de donner un successeur à John, j’en vins peu à peu à me faire ce raisonnement : Je n’aimais pas Gaston, j’en étais sûre. J’éprouvais beaucoup d’amitié pour lui, mais pas une parcelle d’amour. D’un autre côté, l’expérience m’avait appris que deux ennemis chercheraient toujours, non seulement à empoisonner mon existence, mais aussi à faire avorter mes projets. Ils n’étaient pas reparus, depuis le congé définitif que j’avais signifié à Edward et je traitais mes affaires avec Jarvis par l’entremise de ma secrétaire. Mais cela ne pouvait durer et je