Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/22

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Jean se toucha le front.

Ses yeux étincelaient.

— Je le sais bien pourquoi !… Je me demande si je deviens fou !… J’ai toutes les idées dans le cerveau et je ne sais à laquelle m’arrêter… Fulbert, je compte sur toi. Je parle avec toi comme je ne le ferais pas avec un ami. Tu m’as élevé, tu as connu toutes mes joies, tu dois savoir toutes mes peines.

Le Breton fit un pas dans la direction de son maître. Bouleversé, il interrogea :

— Mais, alors, quoi donc qu’il y a ?

Les yeux de l’officier se fixaient.

— Il y a… Ah ! ça ne peut pas sortir de là, tellement ça me révolte…

…Après tout, je ne t’ai pas fait venir pour entendre des sornettes… Tu sauras… Je me demande, mon ami, si… ma femme…

Le regard des deux hommes se croisa.

Ils s’étaient compris.

— Tu as saisi, n’est-ce pas ?… Si ma femme n’a pas un amant !…

Fulbert aurait reçu une décharge électrique qu’il n’eut pas été secoué davantage.

Il voulut parler ; un son rauque sortit de sa gorge.

Il se remit pourtant.

— Oh ! ça, non !… non !… faut pas que M. Jean se mette ça dans la tête !

— Fulbert, je l’ai vue ce matin devant un bureau de poste lire une lettre. J’ai été mordu au cœur. Je veux détruire l’incendie avant qu’il éclate. Je veux le tuer, lui. Quant à elle…

Il s’arrêta.

…Quant à elle… je verrai !… La vengeance sera digne de son infamie !…

Fulbert était un peu remis.

— Bien, M. Jean, à dire vrai, moi, j’y crois pas. Écoutez, quand le soir vous n’êtes pas rentré à l’heure que vous retardez seulement de quelques minutes, ce qui peut arriver à tout le monde, pas ? v’là qu’il lui passe des blancheurs sur la peau que ça en fait pitié !… Si on sonne, madame saute comme un ressort sur son fauteuil et elle dit à la petite demoiselle :

— « Voilà papa, chérie ». Immédiatement, les roses lui reviennent sur les joues.

…Mâtin ! ça veut tout de même dire quelque chose, ça, ou en amour, je n’y connais rien.

…Maintenant, je vais vous lire une remarque que je me suis faite à part moi, souvent. Paris c’est Paris, pas ? À moins de suivre un homme ou une femme toute la journée, on ne peut pas savoir ous’qu’ils passent leur temps. Le mieux, c’est d’y aller de confiance, à moins de se mettre le sang à la torture comme je vois que vous faites.

M. Jean, faut pas en avoir de ces idées là.

— Tu en parles à ton aise, toi !

— Pas tant que ça ! Je vous assure que c’est plus d’une fois que je me suis fait des réflexions… Quant à madame, y a pas une plus belle femme.

…Vous êtes de mon avis, hein ? Et ma foi, c’est impossible, quand elle passe sur un trottoir, que les hommes ne la reluquent pas un peu !…

…C’est plus fort qu’on ne veut des fois qu’il y a !…

…Elle y répondre !… Pas de risque !

…Écoutez, monsieur Jean, faut pas être trop exigeant surtout dans ce coquin de Paris. Tenez, moi, je suis jaloux, je me connais. Chacun a ses défauts. Ben, on m’aurait coupé en deux que je ne me serais pas marié avec une Parisienne. Je me serais imaginé des histoires. Et ça m’aurait tourné, fichtre, comme ça vous tourne. Ces mâtines ! Lorsqu’elles passent à côté de vous, que ce soit une gente petite ouvrière ou une dame de la haute, c’est la même chose. Elles vous ont des manières, elles vous frôlent de leur coude qu’on dirait toujours… Vous comprenez, n’est-ce pas ? Plusieurs fois je me suis retourné. Dame ! on n’est pas en bois !

…Ben, non, rien ! Elles étaient déjà loin.