Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/23

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… « Cré nom, que je me disais, c’est rien que bon pour te faire damner ».

— Ton raisonnement a du bon. N’empêche que lorsque cela touche de près on ne raisonne pas facilement. Enfin, tu es sûr des lettres ?

— Oh ! bien sûr.

— À partir d’aujourd’hui, tu ne les remettras qu’à moi, entends-tu. En sortant, je vais dire à la loge que toute la correspondance devra t’être remise.

…Maintenant, j’aurais peut-être un service plus délicat à te demander. J’ai besoin d’y réfléchir un jour ou deux. Cela va dépendre des évènements. Je t’avertis que je les précipiterai, car je ne veux pas, non, je ne veux pas vivre de cette fièvre, je deviendrais fou.

…J’ai mon ordonnance. Mais c’est une moule incapable de faire un pas habilement.

… C’est sur toi que je compte.

— Je suis dévoué à monsieur corps et âme, nuit et jour.

— Je le sais, mon brave Fulbert. La confidence que je te fais prouve que je sais le reconnaître.

— Monsieur Jean fera bien de ne rien laisser voir à madame, monsieur lui ferait du mal et de ces maladies je crois qu’on n’en guérit pas facilement.

— Je serai fort… Je suis très fort quand je veux. Je l’ai été au déjeuner, je t’en réponds.

— Le fait est que je n’aurais jamais cru que monsieur avait ce tourment-là.

Comme tous les jours, Malcie sortit avec ses enfants.

Jean la laissa partir.

Il descendit quelques minutes après elle et s’arrêta chez la concierge.

— Madame, dit-il, d’un ton bref, je désire que toutes les lettres de ma maison soient remises à Fulbert, mon valet de chambre, qui me les donnera à moi-même. Quand je dis toutes, je ne fais pas d’exception. Un manquement à cet ordre serait votre congé. Vous voudrez bien ne pas oublier ma recommandation.

Le ton était significatif.

Mme Mulet se contenta de répondre affirmativement.

En songeant aux deux lettres arrivées quelques jours auparavant, elle se dit :

Est-ce qu’il y aurait grabuge dans le ménage du capitaine ?…

Comme la place était bonne, les étrennes généreuses, la besogne de peu d’importance, Mme Mulet prit la résolution de remplir à la lettre l’ordre du maître.

Si la nuit porte quelquefois conseil, elle ne calma pas Jean d’Anicet.

Il réfléchit et la réflexion lui suggéra que si Malcie avait des rendez-vous, ce devait être le matin.

Dès sa toilette achevée, il appela le Breton.

— Écoute-moi et, surtout, comprends-moi bien… Si Mme d’Anicet sort, ce matin, tu la suivras.

— Monsieur….

— Pas d’objection. Tu la-suivras en fiacre, même si elle va à pied.

…Tu diras au cocher : « Suivez cette dame… À l’heure… Bon pourboire ».

…Tu paieras sans chipoter. Je veux que tu puisses me donner le numéro de chaque maison où elle sera allée…

…Ne t’inquiète pas de ton service. L’après-midi sera là. Compris, n’est-ce pas ?

…C’est une besogne malpropre que je te fais accomplir. Je ne veux pas mettre un tiers dans une affaire de ce genre. Suis-la depuis sa sortie jusqu’à son retour. Est-ce compris ?

Fulbert baissait la tête.

— Je sais que, pour toi, ce n’est pas très agréable. Tu fais ce que je te commande. Tu n’as à t’occuper de rien autre. Si cela te répugne, dis-le. Je me rends à l’instant dans une de ces agences où, en payant largement, je trouverai dix limiers pour exécuter ce que je désire.

— Oh ! monsieur Jean, ne mettez pas le public là-dedans. Croyez-moi.