Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/28

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Elle se le promettait.

Il continua.

— Je vous ai dit que tant que j’ai été seul, j’ai tout enduré.

« Aujourd’hui que ma vie se dédouble, qu’un cœur semble comprendre le mien, je suis moins résigné.

Son ton devenait cassant

— Je m’oublie… C’est plus fort que ma volonté. Excusez-moi.

— Vous avez tort, mon ami, dit Malcie, de vous irriter. Raisonnons froidement, voulez-vous ?

— J’essaierai.

— Vous dites que vous aimez.

— Oh ! oui.

— Et l’on vous aime ?

— Je le crois.

— À deux, on supporte plus facilement les épreuves. Si je comprends bien, vous songez, n’est-ce pas, à unir votre vie à l’idéal de vos rêves.

Il se redressa.

— Voilà, voilà justement où les difficultés surgissent, se dressent, barrent la route, me tuent.

…J’ai donné à comprendre à mon ami l’isolement de ma vie. Il ne sait rien de précis.

…Comment voulez-vous que moi, un garçon sans famille, je demande d’entrer dans une famille honnête ?

…Je serais éconduit.

…Je subirais la faute des autres.

…J’ai tout approfondi. J’ai considéré toutes les situations… J’ai eu l’idée de partir, d’aller en Algérie. Je ne l’ai pas pu. Non, je ne peux pas. Elle est ma vie. Je l’aime !

…Après tout, je me demande pourquoi je condamnerais mon cœur à l’immolation ? pourquoi je souffrirais mille tortures, celles de la faim, au besoin, lorsqu’il y a sur la terre une femme qui m’a donné le jour et à qui rien ne manque…

…Oui, j’ai agi par fierté, je n’ai rien voulu demander.

…Aujourd’hui, du moment qu’il ne s’agit plus de moi seul, je suis résolu à tout.

…Je ne veux pas qu’elle souffre, elle !… et je veux par mon amour, lui faire une vie de bonheur.

Avec bonté, Malcie essaya de le calmer.

— Ne blâmez pas sans savoir, mon ami. Qui vous dit que celle dont vous parlez amèrement n’est pas à plaindre ?

— Tout.

— Qui vous dit qu’elle ne souffre pas ?

… Quel âge avez-vous ?

— Vingt-six ans.

Très doucement, comme si la question eût dû rouvrir une plaie, Malcie demanda :

— Est-ce qu’elle habite Paris, votre mère ?

Roger la fixa.

L’œil brûlant, les lèvres sèches la gorge contractée, il monosyllaba :

— Oui.

Elle hésita encore. Mais, lorsque celles qui sont foncièrement bonnes se dévouent est-ce qu’elles s’arrêtent à mi-chemin ?

Ne regardent-elle pas le but, et droit au but, ne vont-elles pas ?

Malcie balbutia :

— Voyons, c’est l’enfant qui doit plier devant la mère.

Il allait protester.

— Je vous en prie, oublions tout. Le passé n’est plus. Le présent seul existe, ne considérons que ce présent. Il peut préparer un avenir imprévu.

…Accepteriez-vous une intermédiaire entre elle et vous ?

Son regard se fixa sur Malcie, sur la chère et dévouée créature qui ne se doutait pas du Calvaire qu’elle se préparait.

— Un intermédiaire ? Qui voudrait ? Et puis ne serait-il pas préférable que j’agisse moi-même ? À nous deux, l’un devant l’autre nous nous expliquerons.

— Quand les situations sont aussi délicates, lorsqu’elles sont aussi tendues. Il vaut mieux confier sa cause à autrui.

…Voyons, votre mère ne peut pas vous renier.