Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/27

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— La voyez-vous ?

— De loin… répondit-il amèrement.

— Vous ne lui parlez pas ?

Il s’arrêta sur le point de prononcer une phrase blessante.

Simplement, il dit.

— Non.

Et continua :

« Tant que je n’ai rien su, j’ai vécu comme l’oiseau sur la branche, privé des douceurs de la vie de famille, mais n’en souffrant pas, puisque la brave femme qui m’a élevé m’avait dit qu’elle était ma tante et que je n’avais qu’elle au monde.

« Cela a tout changé lorsque le papier révélateur m’a tout appris.

« Je suis devenu irascible, méfiant.

« J’ai pris la société en horreur.

— Vous exagérez… Vous vous calomniez.

— Pas le moins du monde. Lorsque je pensais que j’aurais pu être heureux, que j’aurais pu avoir ma voie comme d’autres… un avenir… ou, tout au moins, être à l’abri du besoin, je me révoltais.

— Pourquoi n’avez-vous pas essayé de voir votre mère ? Sait-elle que vous viviez ?

— Je suis très fier, répondit Roger. Elle m’avait renié, abandonné, pourquoi aurais-je cherché un rapprochement ?

…Une femme qui renie son enfant, voyons est-ce une femme ?

…Est-ce une mère ?

…Prononcez.

Malcie se tut.

Son avis était celui du jeune homme.

À quoi bon le surexciter davantage ?

Il reprit :

— La voir pour faire du sentiment ?… une mise en scène ?

…Je vis par le cœur. Elle n’en a pas. Nous ne nous serions pas compris.

Il s’arrêta une minute et continua. :

— Avec les quinze cents francs de ma bonne Adrienne, j’ai vécu pendant quelque temps, puis, je me suis mis à travailler.

…J’avais des dispositions pour la peinture,

…Je suis allé au Louvre, j’ai étudié les maîtres.

…Ça été dur.

…Le tout n’est pas de barbouiller une toile, c’est ensuite de la caser.

…Qu’importe d’avoir reproduit un joli coin, si personne n’en veut.

…J’ai vécu d’atroces jours.

Il porta la main à son front.

— Est-ce que je ne vous ennuie pas.

— Non. Seulement, vous êtes très impressionnable et ces souvenirs vous bouleversent.

— C’est vrai, mais aussi quand j’aurai fini !…

Il poursuivit :

— Je me suis promis de ne pas être fatigant, je ne le serai pas.

…Tant que j’ai été seul j’ai tout enduré.

…Lorsque la volonté est tenace, on peut beaucoup.

…Malheureusement, je dis malheureusement — l’avenir se chargera d’appuyer ou de rétracter l’expression — depuis quelque temps, j’aime une jeune fille idéalement bonne, idéalement douce, idéalement pure, la sœur d’un ami, le seul à qui je puisse donner ce titre. A-t-il découvert mon amour ? Je ne le sais pas. En tout cas, toutes les effusions de mon cœur se sont concentrées sur l’adorable jeune fille que j’aime follement.

…Je ne lui ai jamais avoué mes sentiments.

…Elle les a devinés.

…L’amour que j’éprouve, elle l’éprouve aussi.

Il s’arrêta.

Malcie ne rompit pas le silence.

Il était si franc, si loyal, dans son récit, ce pauvre isolé, qu’une immense compassion dilatait le cœur de la jeune femme.

Si elle pouvait aplanir ses chagrins, elle s’y emploierait de toutes ses forces.