Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/47

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beille, là-bas, au tournant de la rue de l’Université.

— Vous n’êtes pas pressé, n’est-ce pas ?

— Moi ? Pas du tout… tout ce que monsieur voudra. Le temps, c’est de l’or avec des clients comme monsieur.

— Alors, accordez-moi quelques minutes. Je suis arrivé. C’est l’essentiel.

« Mâtin, se dit le cocher, en v’là un qu’est malin ! C’est pas au moment des civilités qu’il veut les pincer ! »

Il se retourna.

— Est-ce que monsieur désire que j’attende… le temps de la visite ?

Jean réfléchit.

— Non, merci.

— C’est absolument à la volonté de monsieur. Je ne vois pas par là de station de fiacres.

— Merci.

Le mot fut bref, saccadé.

Le cocher n’insista plus.

Il y avait cinq minutes justes — et cinq minutes lorsqu’on attend, c’est long — que Malcie avait pénétré dans l’atelier de Roger, lorsque Jean sortit de sa prison.

Il y alla d’une pièce de cinq francs au cocher qui guignait de l’œil un bar très proche et il prit le même chemin que Malcie.

Se composer un visage, chasser le trouble, la nervosité, la rage qui le soulevaient fut affaire d’une minute.

Il ralentit son pas, agrafa le premier bouton de son pardessus, palpa la poche où il avait glissé l’étui du revolver, traversa la cour, en apparence très calme, et aperçut Mme Barbillon.

Elle le regardait.

Cette femme-là devait être renseignée.

Cette femme-là en savait plus long que lui.

Au plus habile.

Occupée à un ouvrage de couture, la concierge regarda l’escalier. Ses mains retenaient sa lingerie.

— Madame, dit Jean, chapeau bas, avec une infinie souplesse dans la voix, j’ai un rendez-vous ici avec Mme d’Anicet pour des acquisitions de tableaux chez un jeune artiste dont nous nous occupons elle et moi.

…Pourriez-vous me dire si elle est arrivée.

Avant la réponse, le capitaine regarda sa montre et ajouta :

— Je crois être exact. C’est l’heure, à cinq minutes près, que nous avions fixé pour la rencontre.

Enchantée de la veine qui souriait à son jeune locataire, la concierge se leva…

Des acquisitions de tableaux !… Roger était sauvé !

— Monsieur, répondit-elle, je ne connais pas le nom de la dame que je vois ici, depuis quelques jours. Elle vient, en effet, de monter. À peine quelques minutes.

…Monsieur la trouvera chez M. Roger.

— C’est bien le nom du peintre en question. Auriez-vous l’obligeance de m’indiquer l’étage de son domicile ?

— Domicile et atelier.

— Oui… je sais.

— C’est au premier, monsieur, la porte en face l’escalier.

— Le nom est sur la porte ?

— Non, mais monsieur ne se trompera pas. La porte en face l’escalier.

— Merci, madame.

Il n’était pas luxueux, l’escalier, avec ses marches usées et sa mince rampe en fer !

Le capitaine eut un sourire ironique. Il balbutia : « Quand on est artiste, l’imagination supplée au luxe ! »

La rampe faisait un coude, Jean voyait la porte… en face de lui.

Il crut qu’il étouffait.

Il s’arrêta.

Des voix lui arrivaient. Celle de sa femme très distincte.

Il dégrafa son pardessus, retint son souffle, ralentit son pas.

Les murs dégradés, lui disaient qu’il ne devait pas y avoir de tenture derrière la porte.