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niquer, elle se surprenait à s’apitoyer sur le sort de Malcie.

Elle n’avait plus le geste qu’accompagnait, quelques jours auparavant une phrase qui lui venait facilement aux lèvres.

« Je m’en lave les mains, fait ton métier et ferme les yeux ».

Elle excusait, plaignait la pauvre créature.

Tout était vrai dans le récit de sa collègue de la rue Notre-Dame-des-Champs. Tout était sincère. Il y a des accents qui ne trompent pas.

« Ma foi, finit-elle par se dire, c’est bien le moins que les femmes se soutiennent entre elles. Tout ce que je saurai, je le lui dirai ».

Les jours s’écoulèrent, longs, tristes, alternés de réveils qui semblaient être un pas vers la guérison, auxquels tout à coup, succédaient des torpeurs qui faisaient craindre une fin prochaine.

Cela dura trois semaines.

Enfin, la jeunesse, un tempérament que rien n’avait jamais ébranlé, triomphèrent de l’horrible crise.

Malcie se lève, fait quelques pas.

Les médecins sont déroutés.

Ils viennent constater l’amélioration.

Cela durera-t-il ?

Ils en doutent.

Cependant, peu à peu, les heures de lever augmentent. Malcie va d’une chambre à une autre. Elle monte, descend, s’occupe de ses enfants qu’elle ne pouvait supporter au moment de la crise.

Mais ! comme elle est différente de l’élégante jeune femme que nous avons connue !…

Le rire franc, toujours prêt à se manifester, a fait place à un sourire de tristesse.

Des larmes sont toujours prêtes à tomber de ses paupières.

La mésestime de Jean pèse sur elle, cette mésestime qui lui a fait dire :

— Pour le monde, vous serez toujours madame d’Anicet. Entre nous, c’est fini à jamais !

Elle a entendu la sentence et, maintenant, lorsqu’elle se la rappelle, elle ne parvient pas à sortir du labyrinthe où elle la jette : rester perdue dans l’amour du mari en taisant la faute de la mère.

…Ou recouvrer la paix, l’entente, en dévoilant à Jean le crime perpétré pendant vingt-six années.

Par moments, dans la souffrance de son cœur une flamme fait briller sa prunelle.

Elle ne peut pas vivre ainsi. Elle ne peut pas supporter le mépris de l’homme à qui elle appartient.

Elle veut parler.

Elle le veut et elle ne le veut pas.

Ne serait-ce pas une monstruosité ?

Les jours s’écoulent lentement.

Une autre idée la hante.

Que se passe-t-il dans l’atelier ?

Roger est-il resté aussi longtemps sans s’inquiéter, sans chercher à savoir !

Son cœur répond non.

Mais ses pensées, très lucides, maintenant lui rappellent la défense :

« Quoiqu’il arrive, n’écrivez jamais ».

Cette consigne, il ne l’enfreindra pas. Elle projette de lui envoyer, elle, quelques mots dès qu’elle pourra se rendre à un bureau de poste.

L’idée est sur le point de se réaliser lorsque, un matin, Jean arrive dans la chambre de Malcie.

— Le colonel m’envoie à Cambrai, explique-t-il Je ne serai pas ici avant demain soir.

— À Cambrai ? Une grève ?

Non. Pas de grève. Et puis, lors même qu’il y aurait grève ?… En quoi cela pourrait-il vous intéresser.

Elle pâlit.

— Taisez-vous. Vous ne savez pas le mal que vous me faites.

Il balbutia, la regardant à la dérobée :

Le mal !

Oui, le mal !… Vous le regretterez un