Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/59

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tré au service de feu monsieur Honoré, quand monsieur Jean avait deux ans.

…C’est un tempérament comme ça !… Bon à l’excès, mais vif !… Trop !… Je me rappelle des scènes quand il était petit !

…Tenez, il n’en a rien dit, car depuis ce jour de malheur, il est muet comme une carpe, même avec moi, mais je suis sûr qu’il regrette !… Oh ! oui, il regrette.

Malcie soupira :

— Les services que j’essayais de rendre feront époque dans ma vie.

— Parbleu ! je le savais bien, moi, que c’était des services ! des charités ! Il aurait mieux valu que madame n’en rende jamais des services.

Malcie se tut.

Fulbert ne bougea pas plus qu’une borne.

— Fulbert ?

— Madame.

— Prépare-moi tout ce qui est nécessaire pour écrire.

— Est-ce que cela ne fatiguera pas madame ?

— J’y tiens.

— S’il n’y a rien qui presse, madame pourrait attendre.

— On ne sait pas. Nous ne pouvons pas savoir nous !… C’est le secret de celui qui dirige le monde. Prépare tout.

En déposant sur la table une écritoire complète, Fulbert grommela :

— Il est en route pour Cambrai, monsieur le capitaine, mais ses idées sont peut-être ici. D’habitude, lorsqu’il part, il y a toujours une poignée de mains pour Fulbert et des recommandations !… faut attendre ! Ce matin ? ni recommandations, ni poignée de mains : — « Merci ». Pas autre chose. Quand on n’y est pas habitué, on a beau dire, ça vous passe froid sur la peau et on baisse la tête de la gare du Nord jusqu’à son domicile.

…Madame n’a pas besoin d’autre chose ?

— Non, Fulbert, merci. Monsieur le capitaine a dit qu’il rentrerait demain soir, n’est-ce pas ?

— Oui, il l’a dit… Reste à savoir si malgré tout, le temps ne sera pas long à Cambrai, jusqu’à demain soir.

— Je n’ai plus besoin de toi, Fulbert.

— Que madame ne se fatigue pas et qu’elle fasse tout ce qui dépendra d’elle pour que l’hôtel redevienne ce qu’il était.

Malcie garda le silence.

Le valet de chambre quitta l’appartement.

Aussitôt, Mme d’Anicet glissa jusqu’à la table sur laquelle, à portée de sa main, tous les objets étaient préparés.

Elle prit la plume.

Une répugnance la lui fait poser.

Vivement elle se ressaisit.

« Victime pendant un temps, c’est bien, mais dans l’estime du mari, même dans l’au-delà ? Non ».

Elle écrivit :

« Mon cher Jean,

« Je prépare ces lignes pour le cas où je viendrais à mourir.

« Avant d’aller plus loin, jurez-moi que le secret qui en sera la déduction restera le vôtre.

« Vous êtes homme d’honneur, j’ai foi en vous et je continue.

« Vous avez cru que celle qui avait juré au pied des autels de n’être qu’à vous était devenue la maîtresse du peintre Roger, et, sans que rien ne motive cette terrible méprise de votre part, du jour où l’idée s’est implantée en vous, j’ai vécu privée de vos caresses, accablée de votre froideur, écrasée de la lourde pensée que vous faisiez peser sur moi.

« Me croire capable de mener une vie en partie double est me connaître bien peu.

« Sur l’amour qui nous a réunis pendant six ans, sur l’amour d’aujourd’hui car je vous aime toujours et je ne crois pas que vous ne m’aimez plus, sur la tête de nos enfants bien-aimés, je jure que je suis innocente.