Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/64

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— Tu as donc beaucoup à faire, interrogea Berthe.

— Pas plus que ça !… Il suffit parfois de projeter d’aller à droite, pour qu’on aille à gauche. D’autre part, je connais les heures de Roger. Elles n’ont pas coïncidé avec les miennes cette semaine. Pas plus compliqué que cela !… Voyons, qu’as-tu fait depuis notre dernière rencontre ?

— Je viens de le dire à ces dames : la connaissance d’un milord.

— Diable !

— Oui, d’un Américain qui m’a acheté deux toiles.

— Es-tu payé ?

— Parfaitement.

— C’est de la chance ! De passage à Paris, ton Yankee ?

— Oui. Mais il y vient comme nous partirions pour Marseille. Nous sommes au mieux. J’ai dîné avec lui au Terminus.

— Rien que ça !

Roger souriait.

— En compagnie de Renaud. Connais-tu Renaud ?

— Le portraitiste ?

— Oui.

— Eh bien, tu n’étais pas en mauvaise compagnie. Je n’ai jamais vu Renaud, mais je le connais de nom ! C’est lui qui a lancé Dompierre. Un original, dit-on, mais lorsqu’il prend quelqu’un en affection. il le pistonne carrément. Tâche d’être un de ses favoris. Tous mes compliments. La chance va venir. Jamais un sans deux.

Roger regarda Berthe et murmura :

— Puisses-tu dire vrai !…

— Dis-donc, veux-tu que nous allions faire un tour ?

— Je ne demande pas mieux. J’ai une course que je ne puis différer. Attends-moi une minute.

Dans les chassés-croisés de la sortie — Berthe, cherchant la canne de son frère, Mme Méen une note pour une acquisition dont elle priait son fils — Roger se trouva seul auprès de la jeune fille.

Les yeux attristés de Berthe rencontrèrent ceux du jeune homme.

Comprenait-il ce qu’elle souffrait ?

D’un geste aussi vif que la pensée, il lui prit la main, murmura dans un souffle :

— Qu’avez-vous ?

Il baisa avec ardeur ses doigts tremblants.

Berthe n’eut pas le temps d’une réponse. Elle tourna la tête.

Sa mère était derrière elle.

Les deux amis partirent laissant seules les deux femmes.

La vue de Roger avait-elle attiré la préoccupation de Berthe ? Aviva-t-elle la pensée d’une proche discussion avec sa mère en exaltant son amour ?… en tous cas, cette visite, l’émotion qu’occasionnèrent le baiser furtif et la chaleur des lèvres sur ses petits doigts précipitèrent les évènements.

Mme Méen revint au salon, et, machinalement, sa fille la suivit.

Sans préambule, la mère commença :

— Lorsque l’ami de ton frère est arrivé, j’allais reprendre avec toi ma chère petite le sujet d’hier. Viens ici que nous causions. J’ai demandé quelques jours à Mme Moutiers avant de la revoir. Il ne faut pas prolonger indéfiniment.

Oppressée, défaillante, Berthe s’assit auprès de sa mère qui continua :

— Ta pâleur me dit que tu n’as pas dû dormir toutes les heures de la nuit, il ne faut rien exagérer. Berthe.

La jeune fille garda le silence.

— Voyons, tant que tu n’auras pas vu M. Blégny, il ne t’est guère possible de mettre ton cœur en avant. Le mariage ne te déplaît pas, n’est-ce pas ?

Berthe balbutia :

— Le mariage ? Non.

— C’est du reste, un but vers lequel toutes les jeunes filles aspirent. Pour elles, c’est la liberté. J’ai réfléchi, moi aussi, beaucoup : Si vous vous plaisez réciproquement, M. Blégny et toi, nous continuerons les pourparlers. Qu’en dis-tu ?