— Rien ne presse.
— Nous ne pouvons être ridicules nous ne devons pas, surtout, être inconvenants envers cette famille.
Mme Méen regarda sa fille.
Sa pâleur lui fit pitié.
— Es-tu sotte de te bouleverser ainsi ? Parle donc. Dis ce que tu penses. Ne reste pas devant moi comme une statue.
— Tu as raison. Il est préférable que je parle d’autant plus que tu as l’air d’y tenir à ce mariage.
— D’y tenir !… d’y tenir !… Il me semble qu’une occasion pareille sera difficile à retrouver.
— Eh bien, mère, je le regrette, mais je n’aimerai pas M. Blégny.
Ce fut au tour de la mère à pâlir.
Elle interrogea :
— Tu dis ?
Lentement, oppressée, le cœur battant très fort sous son corsage, Berthe répéta :
— Je n’aimerai pas M. Blégny.
— Qu’est-ce que cela veut dire ? fulmina Mme Méen épouvantée, avec un pressentiment. Un roman ?…
— Non, mère, il n’y a pas de roman. J’aime, c’est vrai, mais crois bien qu’il n’y a aucun roman.
— Tu aimes !… répéta la mère atterrée, en lançait un regard d’épouvante à sa fille.
Était-ce l’irréparable ?
Elle, la mère arrivait-elle trop tard !
Est-ce que Berthe allait se buter dans une idée, rejeter une occasion qui comme elle l’avait dit, pouvait être unique !
On verrait.
Hors d’elle, elle interrogea :
— Qui aimes-tu ? Qui as-tu aimé à mon insu ?
— Je t’en prie, maman, ne m’accable pas. Je n’ai rien fait pour cela. Mon cœur a parlé ! Je ne m’en suis pas défendue. Mon amour est très grand, très sincère, je sens bien que je ne pourrai pas aimer ailleurs.
— Mais enfin, me donneras-tu le nom ?
Avec un peu plus de calme :
— Si après tout, il te vaut !… S’il vaut M. Blégny
— Pour moi, il est supérieur, puisque je l’aime.
Haletante, Mme Méen demanda :
— Eh bien, son nom ?
— Tu ne le devines pas ?
— Oh ! non.
— Maman, c’est M. Roger.
La mère se leva brusquement.
Elle regarda sa fille terrifiée !
Ce n’était pas !…
Cela ne pouvait pas être !…
Elle avait mal compris !…
— Répète…
Très bas, comme honteuse, Berthe redit :
— Monsieur… Roger !
La mère cria :
— Tu es folle, sans doute… Tu as une minute d’aberration !… Tu ne sais pas ce que tu dis !…
La jeune fille ne répondit pas.
Affolée, la mère continua :
— Il faut que tu divagues pour oser pareil aveu. Roger !… Un jeune homme dont ton frère n’a jamais rien pu savoir !… Un jeune homme qui ignore lui-même de qui il est l’enfant.
…Une épave de ruisseau peut-être ?
…En tous cas, un être qui a dû au hasard de ne pas être jeté dans le troupeau de l’Assistance publique ?
…Ce garçon-là, mon gendre ?
…Ton mari !
— Maman !… maman !…
Sans écouter, Mme Méen poursuivit :
— Ah ! ses visites avaient un double but !… Il t’enjôlait et je n’y ai rien vu !…
— Maman, tais-toi. Je n’ai jamais dit un seul mot de mon affection à l’ami de mon frère. Cela, je te le jure.
— Il a sans doute été plus communicatif lui.
— Jamais !… Jamais !…
Mme Méen conclut :