Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/72

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— Vous m’avez fait demander si je pouvais vous recevoir ?

— Oui, puisque nous vivons comme si nous étions étrangers l’un à l’autre.

— Avez-vous besoin de quelque chose ?

— Que vous m’écoutiez quelques instants. Ce ne sera pas long.

Elle s’assit.

Jean qui s’était levé lorsqu’il avait entendu le froufroutement approcher machinalement l’imita.

— J’avais pensé, expliqua-t-elle en le regardant droit dans les yeux, que la mort inattendue de ma mère aurait amené une amélioration, un changement dans notre vie.

— Je vous prie de ne pas revenir sur le passé. Expliquez-moi le but de votre visite. Lorsque certaines existences sont brisées, rien ne peut y remédier.

— Oh ! tranquillisez-vous. Je ne viens pas ici pour gémir. Si j’ai souffert, vous ne vous plaindrez pas de l’écho de mes souffrances, puisque je ne vous ai jamais dit un mot. Quant à essayer de me disculper, je ne l’ai pas fait et je ne le ferai pas. Me disculper de quoi ?

Il allait parler.

Elle eut un geste très doux.

— Je vous en prie, ne m’interrompez pas. Il pourrait encore vous échapper des expressions brutales, des mots blessants qui me tortureraient et dont vous vous repentiriez amèrement.

…Je vais vous dire de suite pourquoi je suis auprès de vous.

…Malheureusement pour l’explication que j’ai résolu de vous donner, je dois revenir en arrière et toucher au délicat sujet, à l’affreuse méprise.

Il la regarda.

Ses lèvres s’entr’ouvrirent pour une protestation.

— Jean !… taisez-vous !…

Comme pour lui rappeler le pacte, il répondit froidement avec un regard d’acier :

— Madame, veuillez continuer.

Des larmes lui montèrent aux yeux.

Hésiterait-elle ?

Elle reprit haleine.

— C’est cela. Puisque vous l’avez décidé, veuillez m’écouter comme si j’étais une étrangère. Oubliez un instant que j’ai été votre femme, la mère de nos enfants. Je vais, moi, m’efforcer de me considérer comme telle et, par conséquent, de parler comme la circonstance l’exige.

Il se leva, nerveux et ironique :

— L’exorde est long. Je me demande ce que sera le roman.

C’était trop.

Elle s’attendait à de l’indifférence, mais pas à des insultes.

Ne lui restait-il donc qu’à reculer ?

Si elle réfléchissait après avoir accompli le premier pas, elle aurait le courage de recommencer ?

À demi suffoqué d’émotion, elle hésita un moment et déclara :

— Je vois que l’explication deviendra impossible. Vous devenez railleur. Nous ne nous comprendrons pas.

— Vous avez tort. Je trouve, au contraire, le prologue intéressant. Seulement, vous êtes femme, et vous ne savez pas sortir des difficultés en trois mots. Il vous faut des discours à perte de vue.

…Vous êtes ici, n’est-ce pas, pour me dire que vous n’avez jamais été la maîtresse d’un individu qui vous embrassait ?

— Je suis ici, en effet, pour vous donner la preuve du contraire.

Il la regardait narquois.

Le front plein de tristesse, elle détourna les yeux et fit comme si elle n’avait pas entendu.

Elle expliqua lentement, mais sans arrêt, pour sortir enfin de la torturante épreuve.

— Il y a quelque temps, un jour que vous étiez à Cambrai…

Toujours marchant, il appuya.

— Je suis, en effet, allé à Cambrai.

— Eh bien, ce jour-là, je me suis senti si faible que la pensée de la mort m’est venue…