Page:Dax - Sans asile, paru dans la Revue populaire, Montréal, mai 1919.djvu/74

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Jean porta la main à son front. Un calme se fait enfin dans son cerveau.

Il ouvre et très troublé, il lit.

Il ne s’arrête qu’à la fin.

De cette souffrance résignée qui s’exhale sans plainte de l’âme meurtrie une phrase seule se détache et le capitaine Jean ne s’arrête qu’à elle.

« Je le laisse libre de vous communiquer ce qui m’attache à lui ».

Mille suppositions heurtent le cerveau du capitaine. Il souffre. Un secret existe. Mais quel secret ?… Quelle mystérieuse révélation ?…

Malcie a dit qu’elle se taira. Elle ne parlera pas.

Il se lève. Il marche. Que va-t-il apprendre ? Mais quoi ? Celui-là seul qu’il a cru l’amant de sa femme peut parler ? Et, c’est lui, le capitaine d’Anicet qui doit aller à lui et demander cette révélation ?

Un rire sardonique coupe l’air.

Il murmure sourdement :

— Le roman est…

Jean n’achève pas. L’amour-propre et le cœur sont en jeu. Ce qu’il endure est horrible.

Malcie serait-elle vraiment innocente ? Toutes les tortures, toutes les insultes, sa froideur glaciale, l’étude minutieuse de chaque heure, de chaque minute pour entretenir l’éloignement et l’indifférence, lui reviennent à l’esprit.

Quelle folie que tout cela, puisque tortures, insultes, froideurs, le torturent lui aussi.

Malcie le lui a dit et il n’a pas nié, donc c’est vrai. Il l’aime. Il l’adore.

Que faut-il pour détruire la barrière qui existe entre eux ?

Un mot, une explication là-bas, dans l’atelier…

Reculera-t-il ?

Il réfléchit, passe la main sur son front.

Rêve-t-il ?

La lutte douloureuse est finie.

À mi-voix, il balbutie ;

Irai-je ?

Une voix douce répond :

— Va, va… La martyre attend ton retour. Ses bras sont prêts à s’ouvrir pour te donner la caresse du pardon… Va donc ! N’hésite pas !… Le bonheur est à la portée de ta main. Profites-en.

Jean regarde autour de lui.

Vraiment ne rêve-t-il pas ?

Il est engourdi comme sous la fraîcheur d’une caresse troublante, d’une de ces caresses des heures d’autrefois où le doux murmure d’amour le berçait divinement.

Il revoit Malcie lui sourire… lui pardonner ! De ses grands yeux a disparu le vague indifférent des vies mornes. La joie les anime.

Jean se lève.

Ce qu’il a enduré froidement, par volonté, depuis les mois de séparation morale, n’a rien de comparable avec ce qu’il endure à cette heure.

Quoi qu’il ait à apprendre, il saura !…

En apercevant le capitaine, brusquement. Mme Barbillon sort de sa loge.

— Le peintre Roger est-il chez lui ?

Elle regarda Jean qui renouvelle :

— Le peintre Roger est-il chez lui ?

— Je ne sais pas. Je vais aller voir.

— Je puis vous éviter cette peine, madame.

— Inutile. Je monte.

Elle gravit déjà les escaliers.

— Monsieur Roger ?

Devant son chevalet, l’artiste travaille à la toile qui l’absorbe la moitié de ses jours, lorsqu’il entend la concierge.

— Qu’y a-t-il, madame Barbillon ?

— Le mari de la dame est en bas.

— De quelle dame ?

— Vous savez… le monsieur au revolver.

— Ah ! Eh bien ?

— Il veut parler à monsieur Roger. J’ai dit que j’ignorais si vous étiez chez vous. J’ai grande envie de répondre que vous êtes sorti.

Le peintre eut une hésitation.

— Priez-le de monter.